03/08/2014

701. Anna de Noailles. La grande guerre. 4/17























Dans le ciel écumant...

Dans le ciel écumant d'azur et de moiteur,
Où timides encor, pleines d'étonnement,
Les faibles voix d'oiseaux sont un bourgeonnement
Qui s'apparente avec les feuilles mi-ouvertes
Confiant sur les rameaux comme des bulles vertes,
J'entends rêver la paix active du printemps.
Tout s'empresse, s'émeut, croit d'instant en instant.
Le parfum d'un rosier, comme une confidence,
Exhale par bouffée un charme qui soupire;
Ce languissant parfum s'épuise et recommence:
La rose du rosier comme un être respire...
- Innocence, douceur, simplicité des choses,
Pacifique destin de l'ombrage et des roses,
Vous pour qui le soleil accourt sur les chemins,
Faut-il que la bataille, en son aveugle rage,
Entasse sans pitié, ensanglante et saccage,
Ainsi qu'une furie aux meurtrières mains,
Des moissons de regards et des bouquets humains ?

Les jeunes ombres

Soir de juillet limpide, où nage
La nerveuse et brusque hirondelle,
Tranquillité du paysage
Où le large soleil ruisselle,
Ciel d'azur et de mirabelles,
Qu'avez-vous fait de leurs visages ?

Du visage des jeunes morts
Dissous dans vos fluidités?
De ces beaux morts qui sont montés
Par les fermes et fins ressorts
Du vif printemps et des étés,
Dans les feuillages frais et forts
De la terrestre éternité ?

Agile et scintillante sève
Dont la Nature est composée,
Qu'avez-vous fait de tous ces rêves
Qui se bercent et se soulèvent
Et se déposent en rosée
Dans l'ombre froide et reposée ?

Ces morts sont la pulpe du jour,
Ils sont les vignes et les blés,
Leurs saints ossements assemblés
Ont, par un végétal détour,
Comblé l'espace immaculé.
- Mais le terrible et doux amour
Que proclame tout l'univers,
Le désir jubilant et sourd,
Les sanglots dans les bras ouverts,
Le plaisir de pleurs et de feu,
Ces grands instants victorieux
Qu'aucune autre gloire n'atteint,
Où l'homme s'égale au Destin,
Et de son être fait jaillir
Le puissant et vague avenir,
Qui les rendra aux morts sans nombre ?
- Qui vous les rendra, tristes ombres,
Vous dont la multiple unité
Languit au ciel des nuits d'été !

Illustration d'en-tête: mon oncle Joseph, né en 1898, dans le jardin familial à Evian