25/11/2012

611. Puisque nos sorts furtifs - Complainte

PUISQUE NOS SORTS FURTIFS..


Puisque nos sorts furtifs et toujours en péril
N'ont pas la même route et pas le même toit,
Mélancolique ami, mon compagnon d'exil,
N'entendrai-je jamais de musique avec toi ?

Ne serons-nous jamais roulés au creux des vagues
Que Chopin fait gémir dans ses profonds nocturnes,
Quand sa houle oppressée et son flot qui divague
Semblent un ouragan enfermé dans une urne ?

Ne verrai-je jamais, quand les chants de Mozart
Penchent leur politesse et leurs courtois saluts,
S'élargir lentement ton ténébreux regard
Où le profond désir luit comme un jour élu ?

— Musique aux bras ouverts, mère des convoitises,
Par quel secret soleil, quelle chaleur fatale,
Faites-vous se gonfler, sous vos torrides brises,
Les bouches dont on croit voir frémir les pétales ?

Quel est ce point du cœur que vous venez toucher,
Par qui tout l'édifice humain est chancelant,
Musique, conseillère et pardon des péchés,
Vous en qui le divin au mal va se mêlant !

Quel est votre souhait, sublime envahisseuse,
Pour que les solennels visages de ces femmes.
Pour que leur pureté ait cette audacieuse,
Cette agressive ardeur qui souffre et qui réclame ?

Yeux étonnés d'amour, yeux craintifs, yeux pâmés.
Qui, refusant la lutte, acceptant le hasard.
Et recherchant soudain un autre ardent regard,
S'y couchent comme un corps dans des bras refermés...

COMPLAINTE

Que m'importe la renaissance
De l'allègre et fidèle été ?
J'ai fini mon éternité,
Amour ! mon unique espérance !

Mes regards n'ont jamais cherché
Que ta présence insidieuse ;
L'azur est noir, la mer est creuse
Si soudain ton œil m'est caché.

Ma tristesse contemplative
Guettait tes dangers évidents ;
— Est-il nécessaire qu'on vive
Si le destin devient prudent ?

L'homme s'efforce, endure, pense,
Il veut contraindre l'avenir;
— On ne vit que pour t'obtenir,
Amour ! unique récompense.

Parfois j'évitais tes regards.
Je fuyais ; ta force latente
Me rassurait de toutes parts :
C'est une ivresse que l'attente !

J'entendais, dans les calmes soirs,
Bouillonner vers moi l'invisible ;
Qu'il est doux de ne rien avoir,
Alors que tout semble possible !

Il n'est rien pour- moi de réel,
Désir ! hormis toi, dans l'espace ;
Ton haleine éternelle passe
Entre les tombeaux et le ciel;

Sans qu'on te voie ou qu'on te nomme
C'est toi la seule activité,
Compagne unique de l'homme :
Promesse de la Volupté !

Les Forces Eternelles