25/11/2012

603. Le chant du faune

Praxô, j'ai désiré me mêler à ta vie
Parce que l'univers reflète en toi ses jeux,
Et que ton corps naïf, jubilant, orageux,
Me fait, comme le monde, une éternelle envie !

Ce n'est pas tant le feu turbulent de ma chair
Qui voulait s'humecter aux fraîcheurs de ton être.
Mais mon rêve vieilli, par ta grâce, pénètre
Plus avant dans le temps et le divin éther.

Mon âge, plein d'ennui, de saisons, de désastres,
Croyait aimer la mort mais poursuivait l'espoir,
C'est ton regard, levé vers la bonté du soir,
Qui m'accordait avec les astres !

Mais quoi ! Je t'ai captée et ne suis pas heureux !
J'ai vu ton corps dansant et pareil à la source
Arrêter dans mes bras sa palpitante course,
Et ce suave don me rend sombre et peureux !

Moi, faune des coteaux brûlés de Syracuse,
Qui vis pâlir l'azur à la mort du dieu Pan,
Aujourd'hui où ton cœur sur le mien se répand,
Praxô, rêveuse enfant, je souffre et je t'accuse!

Entends-moi, je suis vieux, j'ai l'âge de ces bois.
Le soleil m'a séché, je vais bientôt rejoindre.
Tandis que l'avenir court vers toi pour t'étreindre,
Les sphères dont le chant me touchait par ta voix !

Avant de te connaître en ta fureur céleste,
Je t'aimais sans regrets et te haïssais moins,
Je ne prévoyais pas ta force ardente et leste
Qui prend, dans le plaisir, les mondes à témoin.

Comment donc oublierais-je, âme perpétuelle.
Ce grand accroissement de ton corps vers les cieux,
Et l'appel effaré qui montait de tes yeux
Vers la nuit ordonnée et les lois éternelles ?

Jamais je n'oublierai ton esprit consolé,
Ce tranquille regard possesseur du mystère,
Et cette pesanteur muette et solitaire
Qui s'emparait soudain de ton être comblé.

Autrefois, tu semblais exemplaire et secrète,
L'animale lueur ne brillait point en toi.
Je saurai désormais que ton ardeur est prête
A conquérir la paix qui succède à l'effroi.

Jamais plus tu n'auras ta pudique tristesse
Cet innocent ennui qui parait ta beauté,
Cette errante stupeur que la nature oppresse»
Qui recherche l'espace et non la volupté !

Certes, ma passion pour ta jeunesse heureuse
Avait le pourpre éclat du flamboyant pavot,
Le harcelant soupir de la mer écumeuse,
Le fier hennissement matinal des chevaux ;

Mais ne pouvais-tu donc contrarier sans cesse
Ma colère sans fiel qui ne te nuisait pas ?
M'aimais-tu ? Je ne sais. Tes grondantes caresses
Mordaient à l'univers en enlaçant mes bras.

Va-t'en, laisse-moi seul. Sur ma flûte d'érable,
A l'ombre d'un laurier que juin vient défleurir,
Je pleurerai ta chair prompte à se réjouir.
Hélas! Cruelle enfant qui me fus favorable,

Pourquoi n'as-tu pas su me haïr ?

Les Forces Eternelles