18/11/2012

545. L'automne


Le fol, prodigue Automne, aux mains larges ouvertes,
Qui donne et répand tout, et s'arrache de soi,
Mène son ouragan dans un azur inerte ;
Les secs ruisseaux de l’air sifflent, et déconcertent
La méditation dos bois.

Rapide, ventilé, il s'élance, il s'écroule.
Il répond au Destin, soufflant, s'évertuant.
Le feuillage emporté navigue, tangue, rouie;
L'air, comme un océan,
Entraine en bondissant, sur ses venteuses houles,
Ce bouquet au néant !

Tel un bloc glacial de cristal et de jade,
La torpide atmosphère, au sérieux aspect.
Contient paisiblement cette immense escapade.
L'univers tremble aux mains d'invisibles Ménades :
Tant de fougue dans tant de paix !

Offrant à l'ouragan une grâce opposée,
Demi-nue, échappant à son feuillage clair,
La cime d'un bel arbre apparaît dans l'éther,
Lucide et reposée.
Un humide brouillard qui songe, gonfle l'air
De latente rosée.

Dans la forêt cinglant pour un fatal départ.
Les biches aux doux pieds, d'un confiant regard
Consultent, le front bas, la terre resserrée,
Et l'on voit onduler, sous la brise moirée,
Leur robe tachetée, ailée et aérée
De faisan et de léopard !

La nature bondit, mais le ciel se résigne.
L'horizon incline au sommeil,
L'étang, compact de froid, semble enclore les cygnes,
Précurseurs de l'hiver, à la neige pareils.

Tout se tait, et pourtant c'est un muet murmure :
Bourdonnement gelé du silence et de l'eau.
Le noir croassement des obliques corbeaux
Fait, dans l'éther uni, une sèche cassure.

Mais, plus que le printemps, plus encor que l'été,
Cette franche saison, pétulante et benoîte,
Avec ses bonds joyeux et ses mollesses d'ouate,
Et ses traînantes voluptés,

Donne aux pauvres humains la timide espérance
Que la nature penche un instant sur leurs vœux
Son grand battement d'aile, expansif et nerveux,
Où l'âme reconnait sa fougueuse indigence.

— Et pourtant, ô brillant et nombreux Univers,
Tous les morts sont couchés au funèbre revers
De ta belle cuirasse !
Tout ce que je respire est perfide et pervers :
Tes paysages d'or, peints de pourpre et de vert,
Ont jailli de ces sombres masses !

Je ne te tolérais qu'avant d'avoir compris,
Terre! astre terni parmi les autres astres,
L'injure sans pitié que tu fais à l'esprit.
Lieu de déception et d'infinis désastres !
Enfant, je m'irritais d'appartenir à toi. 

Je trouvais ton ciel vide et ton contour étroit.
Et je n'aurais jamais consenti la blessure
De nouer à ton cœur les maillons de mes jours,
Si tu n'avais alors, ù tenace Nature ! 

Fière de posséder cet éternel recours,
Fait surgir à mes yeux, comme un soleil auguste
Par qui tout est certain, attirant, simple et juste,
L'explosion suave et vaste de l'amour !...

Les Forces Éternelles