17/11/2012

528. L'esprit parfois retourne

L'esprit parfois retourne à des séjours lointains,
A de charmants climats aimés dans la jeunesse,
Et voici que dans l'àme abondamment renaissent
Les pétillantes nuits et les naïfs matins.

Je me souviens, ce soir, d'un jardin près de Nice,
Acide à l'odorat par ses mandariniers,
Tendre par ses palmiers inclinés qui bénissent
Les oiseaux turbulents et l'étang résigné.

J'avais vingt ans, j'étais une enfant qui contemple
L'exaltant univers avec un humble amour,
Et cependant, pareille aux colonnes des temples.
Je portais le divin sans le sentir trop lourd !

J'étais une enfant triste, enivrée et chétive,
Avec je ne sais quoi de fort comme la mer
Qui ne saurait manquer, alors qu'il faut que vive
Un corps léger qu'anime un ouragan amer.

La nuit, me soulevant d'un lit tiède et paisible,
M'accoudant au balcon, j'interrogeais les cieux.
Et j'échangeais avec la nue inaccessible
Le langage sacré du silence et des yeux.

Ah ! que je me souviens, enfant grave et profonde,
De vous qui fûtes moi ! Comme j'entends encor
Les grenouilles chanter, ces cigales de l'onde,
Dont l'humide gosier, pareil au son du cor,

Mène autour des bassins une pleurante chasse
Où passe le galop léger du temps qui fuit :
Ce galop délicat, ténébreux, plein d'ennui,
Qu'absorbe sans répit le nonchalant espace...

J'entendais cette plainte et je voyais les cieux,
L'ombre nouait à moi ses frais rubans qui mouillent,
Et j'écoutais perler le sanglot des grenouilles :
Roucoulement de bois, hoquet mystérieux.

Assistantes des nuits, qui, dans les noirs herbages,
Egouttez votre chant d'un rauque et pur cristal,
Peut-être la rosée est-elle le sillage
Que laissent vos soupirs sur le sol matinal ?

Chanteuses sans éclat, qu'on méprise et qu'on blâme.
Vous qui patiemment, longuement protestez
Contre l'enchantement suspect des nuits d'été
Où toutes les beautés sont mortelles à l'âme,

Votre pauvre cantate emplissait mon esprit
Plus que le sublime œil des étoiles fringantes ;
Nous adressions ensemble à la nuit provocante
Vos reproches confus, mais que j'avais compris.

Vous égreniez en moi vos trébuchants rosaires,
Et, devant la splendeur des astres éloignés,
Je sentais s'accorder avec votre misère
Mon cœur, autant que vous par les cieux dédaigné...

Les Forces Eternelles