10/02/2012

461. Conte triste. 04

04. Une secrète insécurité trouble les plus sûres d'elles-mêmes: aussi y a-t-il chez les femmes, au moment même de leur orgueilleuse ivresse amoureuse, une gratitude qui est comme l'apaisement d'être rassurées. En étant si craintives elles se montrent sagaces: la beauté, plus indéfinissable que l'arome, est pleine de déceptions pour les cœurs difficiles; c'est pourquoi le visage de l'enfance et celui de la tragédie sont seuls sans défauts; ils échappent au jugement, car ils ne se soucient pas de nouer des relations avec les humains, mais dans leur candeur ou leur détresse, ils ne se présentent qu'à la destinée.
La charmante Christine, si elle ne plaisait pas, eût pu déplaire à cause de quelques grâces acquises, qu'on devinait préparées par sa mère, qui, les tenant de sa famille, l'en avait revêtue à l'âge de la bonne tenue, qui est, pour les filles, celui de l'afféterie et de la séduction étudiée. Ainsi possédait-elle certaines intonations de voix, certains gestes de peur simulée, de politesse ou de surprise, qui par leur feinte faisaient songer au petit doigt arrondi de la gouvernante lorsqu'elle soulève à table et porte à ses lèvres, avec délicatesse, un verre de vin coûteux: sa dégustation, discrète et réfléchie, vise à nous renseigner sur ses passions et sa retenue; c'est une porte accessoire, à peine visible, mais ouverte sur l’âme ...
Deux grandes affections mettaient un poids solide dans la vie banale et gracieuse de la jeune femme. Elle aimait son mari, elle aimait une amie d'enfance. Sa personne salubre et sage se contentait du bienfait d'un double sentiment chaleureux. Elle devint veuve. La douleur qui l'accabla pesa sur elle comme une maladie, dont chacun, et elle-même, savait bien qu'elle guérirait ... Au bout de quelques mois de ce violent malaise ressemblant à une grippe qui aurait choisi de tourmenter l'âme, Christine, languissante mais convalescente, se louait de son courage, de sa sensibilité, de son énergie. Il ne restait du défunt que les mérites de la survivante. Loyale et saine, Christine porta sa solitude conjugale comme ses robes de deuil, avec une gravité qui semblait la vouer corps et âme aux sombres couleurs, mais qui ne rompait pas avec l'élégance. Elle savait ce qu'on doit aux morts, - et, si l'on est actif, c'est peu de chose ! - elle savait ce que l'on doit à soi-même, et elle eût cru manquer à un devoir décent en négligeant sa personne.