10/02/2012

458. Conte triste. 07

07. Isabelle, dans le vestibule et puis sur le perron, avait salué le curé d'autant plus souvent que cette politesse sans contact était renouvelée chaque fois par l'excellent homme, comme s'il craignait de rompre brusquement un lien qui eût risqué, en son détachement invisible, de faire perdre l'équilibre à sa partenaire. Puis elle rentra gaiement dans le salon où sa destinée venait d'être changée.
Petite minute, seconde indéfiniment divisée, dont le mince tranchant formidable s'était abattu sur Isabelle à son insu, et avait créé cette chose horrible: la transformation! Il faut du temps pour que l'événement s'affirme et se meuve dans sa force devant les yeux enfin décillés ; mais, si terrible que soit la gigantesque certitude, rien n'est plus troublant que ce bref instant spontané où un grain de sable, apporté distraitement par le vent, contenait l'amoncellement des obstacles, et parfois jusqu'à la forme même des tombeaux.
Les deux coupables, qui ne s'étaient rien dit, pauvres gens, - mais qui, percevant chacun la vie de l'autre, se sentaient coupables, - s'empressèrent auprès d'Isabelle, lui parlèrent tendrement comme à. l'ordinaire; c'était se croire libres encore, alors qu'ils étaient dévolus à la joueuse Nature. Quoi qu'ils fissent1 ils tenaient compte l'un de l'autre, ils se conformaient l'un à l'autre, sous le franc regard d'Isabelle, et inconsciemment ils se concertaient pour la servir, comme deux musiciens qui s'appliquent moins à observer leur partition qu'à épier anxieusement, et avec compassion, la surdité du chef d'orchestre
Julien, de jour en jour, puisait de neuves et abondantes délices dans le visage de Christine. La liqueur dorée de l'œil, sombre et long, qui lui semblait intentionnellement beau, déversait sur son cœur un tendre excédant de regard qui l'inondait de muette vanité; les cheveux obscurs jaillissant d'un front clair le laissaient ravi et perplexe, comme devant un paradoxal problème ; toutes les grâces de Christine le comblaient, tel un don fait par elle à lui, volontairement, et il la bénissait. Pour tant de générosité. Christine, se sentant aimée, eut cette immédiate reconnaissance, ce ploiement de l'âme devant le désir des hommes, qui est le témoignage du respect des femmes pour l'amour.