10/02/2012

457. Conte triste. 08

08. La vénération qu'elles ont pour ce signe seul, qu'elles identifient rapidement avec celui qui en porte la marque éphémère, donne à leur acceptation spirituelle quelque chose de fatal, qui est également quelque chose de fortuit. Se voyant désirée avec une progressive ténacité, elle se sentit passionnément conquise. Quoi qu'on ait dit, la lutte de la femme contre l'homme n'est pas dans le sens de lui échapper, mais de lui appartenir infiniment plus que ne le réclament jamais les faibles mâles. La femme qui ne doute plus du désir qu'elle inspire ne cherche pas à se dérober, mais souhaite d'investir l'homme qui l'aime, de l'envahir, et comme de le traverser. Certes, ce couple innocent n'en était pas à ces divins excès qui, par leur frénésie, parviennent à interloquer la chance, et à la fixer quelque temps. Ainsi s'arrêta dans sa course, aux jours antiques, le soleil, sommé de le faire par un guerrier résolu, doué du sens de l'immédiat.
Bien au contraire, c'est ici que la médiocrité de nos deux héros va s'affirmer. S'ils eussent appartenu à l' espèce puissante, qui a des droits; si, gorgés dès l'enfance d'espoir et de déceptions, ils eussent, comme il convient, repoussé avec une incrédule fierté l'idée du bonheur sans désavantages, que des projets accompagnent; s'ils avaient puisé, sans délai, dans leur conscience instruite, la certitude qu'étant désignés pour l'ineffable agrément ils l'étaient aussi pour la misère, ils eussent limité la catastrophe annoncée par l'ange, et épargné le sort d'Isabelle. Mais, étant simples, probes, prévoyants, ils crurent au bonheur avec une prétention solennelle, et dressèrent les plans de l'avenir.
Louons les êtres passionnés qui, eux, ne croient pas au bonheur ! Tout leur a enseigné l'inégal combat des souhaits avec les circonstances. L'explosion de son ivresse et de sa témérité appartient à l'homme, il est le maître de l'instant, - qu'il s'en saisisse! – mais rien ne lui est concédé du douteux lendemain. Non, les êtres passionnés ne croient pas au bonheur, mais ils croient à la grandeur' de leurs immenses désirs, à la nécessité d'être, fût-ce une seule minute, assouvis; ils ont confiance dans leur .force, dans leur courage à souffrir, dans le malheur qu'on endort et qu'on trahit, et, sans rien espérer de la Fortune, ils parviennent parfois, dans leur sublime détresse, à confisquer tout l'univers au profit de leur indispensable plaisir.