10/02/2012

452. Conte triste. 13

13. De même que la musique, par ses accents mineurs, indique que l'on se dirige vers les tristes sommets, les verbes ont des temps qui influent sur le tempérament, et le passé défini pénètre immanquablement au plus profond de la mélancolie. Le plan convenu fut exécuté avec simplicité. Christine s'éloigna, vaillante mais accablée, et sembla, en prenant le train pour Poitiers, s'enfoncer dans le désert et affronter sans nulle arme défensive les dangers qui menacent les explorateurs. Isabelle, épuisée mais vaillante, endura le supplice de sentir la noblesse d'âme et l'énergie de sa rivale la diminuer elle-même. De plus, elle se séparait d'une amie qu'elle chérissait tendrement. Elle eut l'impression qu'avec Christine s'en allait le bonheur de sa maison, le bonheur et la paix, et cet équilibre menu, aussi total, baroque et soyeux que la toile de l'araignée à l'angle des murailles. Equilibre mystérieux que n'eût point rompu le secret adultère, mais que rompait l'honnêteté! Julien, héros dans l'embarras, balbutiant et digne, figurait l'Amour, l'amour pour qui l'on souffre, pour qui l'on meurt. Ayant fait surgir des sentiments si vifs, il eût pu, dès cet instant, ne plus être, car une femme réellement amoureuse est quelqu'un qui s'éloigne aussitôt, graduellement et à jamais, de la cause initiale de son vertige. Quel rapport peut avoir avec le pauvre homme, incité par la nature à. un rapide échange, l'incubation solitaire des femmes, leurs puissantes rêveries créatrices, et tout le noble désordre à l'édification duquel, désormais, elles vont s'employer ? Motif indispensable, obligatoire support, l'amant est pourtant moins nécessaire aux femmes que l'amour, toujours autour d'elles latent; sans cela comment supporteraient-elles les grandes intermittences de l'émotion précise ?
Ce qui se passa dès lors tous les esprits clairvoyants l'ont prévu. Julien et Christine, figures agréables mais un peu communes, devinrent, à distance, l'un pour l'autre, flamboyants, immenses, chamarrés. Leur absence de lettres retentissait dans la maison comme des coups de gongs et de cymbales, et à toute heure, alors que le facteur n'aurait fait tinter la sonnerie de la porte que deux fois le jour.