04/02/2012

370. Les innocentes ou la sagesse des femmes. 1

"Les Innocentes ou la sagesse des femmes" - Pendant l'absence.

1. C'est un bien beau mystère, mon amour, qu'un visage qui, par son naturel, sa gravité, son enjouement, se donne l'air aux yeux de tous de s'allier à la vie présente, aux circonstances du moment, alors qu'enveloppé de son obsession il est, éloigné de l'univers et s'en va sans cesse regoûter à un secret bonheur, - précis et limité comme la lune ronde sertie d'obscur indigo, - mais dont il se nourrit avec une infatigable répétition. C'est ainsi que par la mémoire et le délice je suis plongée dans notre heure heureuse, autant que le pigeon affamé dans son écuelle rayonnante de grains radieux. Je fais avec minutie et avec ordre ce repas de l'âme. Je revois la chambre où je t'attendais et où, malgré la certitude de ta venue, je croyais que tu ne viendrais pas. Non pas que je doutasse de ton amour, mais de tout ce qui est possible, de tous les moyens de se rejoindre; et cette simplicité parfaite qui était que tu arrivasses près de moi, je ne me la représentais plus. J'étais dans cette chambre avec le sentiment du désert et du délaissement infini. Tout m'était devenu hostile, inaccoutumé: les sièges, le sofa, et moi-même, et mon vêtement grave et modeste. Je ne savais si je devais m'allonger pour un moment de repos ou bien inspecter cette pièce mi-obscure, où les meubles et la tapisserie, contemplés distraitement, devaient m'être pourtant plus sacrés soudain qu'un port d'Orient pour le voyageur d'Europe qui, établissant sa carrière, aperçoit pour la première fois l'horizon dévolu désormais à sa destinée nouvelle.Je pressais sur moi mon manteau, sachant instinctivement que ces tissus accumulés sur le cœur représentaient ma défense, ma négation, ma force contre toi, et ma solitude aussi, l'obstacle à notre unité.
L'esprit comme essoufflé de minute en minute, je m'étendis enfin sur un canapé, et là, immobile, glacée, l'âme comme frappée d'un poignard, j'expirais dans l'accélération d'une mort rapide, je t'oubliais, je ne te souhaitais plus, je renonçais à toi. Et la porte s'ouvrit, et tu vins, et tu fus là. Dans l'ombre tu me tendis ta main timidement, et moi aussi je t'offris la mienne avec tristesse et confusion, et nous fûmes comme ceux qui vont mourir, qui se confessent tout l'un à l'autre en silence, s'emparent spirituellement l'un de l'autre, et par anticipation se sont tout avoué et tout pardonné.