11/04/2011

244. "Un soir à Londres"


Les parfums vont en promenade
Sur l'air brumeux,
Une âme ennuyée et malade
Flotte comme eux.
Les rhododendrons des pelouses,
D'un lourd éclat,
Semblent des collines d'arbouses
Et d'ananas.
Un temple grec dans le feuillage
Semble un secret,
Où Vénus voile son visage
Dans ses doigts frais.
O petit fronton d'Ionie,
Que tu me plais,
Dans la langoureuse agonie
D'un soir anglais !
Je t'enlace, je veux suspendre
A ta beauté,
Mon coeur, ce rosier le plus tendre
De tout l'été.
Mais sur tant de langueur divine
Quel souffle prompt ?
Je respire l'odeur saline,
Et le goudron !
C'est le parfum qui vient d'Irlande,
C'est le vent, c'est
L'odeur des Indes, qu'enguirlande
L'air écossais !
O toi qui romps, écartes, creuses
Le ciel d'airain,
Rapide odeur aventureuse
Du vent marin,
Va consoler, dans le Musée
Au beau renom,
La divine frise offensée
Du Parthénon !
Va porter l'odeur des jonquilles,
Du raisin sec,
Aux vierges tenant les faucilles
Et le vin grec.
Cavalerie athénienne,
O jeunes gens !
Guirlande héroïque et païenne
Du ciel d'argent;
Miel condensé de la nature,
O cire d'or,
Gestes joyeux, sainte Ecriture,
Céleste accord !
Phalange altière et sans seconde,
O rire ailé,
Bandeau royal au front du monde,
Coeur déroulé,
Prenez votre place éternelle,
Votre splendeur,
Dans l'infini de ma prunelle
Et de mon coeur...
Une maison de brique rouge
Tremble sur l'eau,
On entend un oiseau qui bouge
Dans le sureau.
Quelle céleste main fait fondre
La brume et l'or
Des nébuleux matins de Londres
Et de Windsor ?
Des chevreuils, des biches, en bande,
D'un pied dressé
Semblent rôder dans la légende
Et le passé.
La pluie attache sa guirlande
Au bois en fleur:
Ecoute, il semble qu'on entende
Battre le coeur
De l'intrépide Juliette,
Ivre d'été,
Qui bondit, sanglote, halette
De volupté;
De Juliette qui s'étonne
D'être, en ces lieux,
Plus amoureuse qu'à Vérone
Près des ifs bleus.
Tout tremble, s'exalte, soupire;
Ardent émoi.
O Juliette de Shakespeare,
Comprenez-moi !