06/04/2011

193. "Je ne puis pas comprendre"


Je ne puis pas comprendre encor que tu sois né,
Tous les jours je contemple, avec les sens de l'âme,
Dans l'infini des mois, cet instant fortuné
Où ta vie à la vie a rattaché sa flamme !
Mon coeur est plus brûlant que l'air sous l'Equateur;
Je quitte un froid désert où j'errai dans les sables;
Je ne sais pas comment ce passé lamentable
Est devenu lumière, est devenu chaleur !
L'huile d'or du soleil sur les mers levantines,
Les astres fourmillant dans les grottes des cieux,
La fougue des vaisseaux sur les vagues marines
Sont réfléchis pour moi dans chacun de tes yeux.
Je respire, mon front contre tes genoux frêles,
A l'ombre de ta bouche aux rivages vermeils;
Et mon coeur se dissout vers tes chaudes prunelles,
Comme un pâtre étendu, humé par le soleil !
L'amour que le matin a pour toutes les choses
Lorsqu'il comble d'azur le torrent, les glaïeuls,
Le chanvre, les osiers, les goyaves, les roses,
Mon coeur plus chaud que lui le répand sur toi seul !
Quand je te vois, quand tu me parles ou me touches,
Je suis comme un mourant de soif dans le désert,
Qui verrait l'eau du puits monter jusqu'à sa bouche,
Et le fruit du manguier s'incliner sur les airs.
Je suis ton centre exact, immuable et mobile,
Tes deux pieds, nuit et jour, sont posés sur mon coeur,
Comme le clair soleil pend au-dessus des villes
Et décoche aux toits bleus ses flèches de chaleur.
Toute bonté du monde est en toi déposée;
Je n'imagine rien que ne puisse guérir
Le rire de ta bouche et sa tiède rosée,
O visage par qui je peux vivre et mourir !