04/04/2011

187. "Bénissez cette nuit !"

Bénissez cette nuit alanguie et biblique,
Prêtresse du coteau, palme mélancolique !
Car voici le berger dont mon rêve est hanté...
- Cher pâtre, accepte enfin la douce volupté.
Quelle frayeur déjà te pâlit et t'oppresse?
Mon amour, montre-toi doux envers la caresse.
Si tu veux, sois absent, étranger, endormi;
Ferme tes calmes yeux, davantage, à demi;
Ferme tes yeux, afin que cette neuve aurore,
Que les tendres baisers dans l'esprit font éclore,
Se lève lentement sous tes cils abaissés,
Sans que ton innocent orgueil en soit blessé !
Qu'aimais-tu dans ta vie adolescente et fraîche ?
La course dans les prés, le mol parfum des pêches,
Le transparent sommeil à l'ombre du bouleau,
Le rire des flots bleus dans les vives calanques ?
Mais l'amour est un fruit plus vivant et plus beau,
Tout composé de pulpe et d'âme, où rien ne manque...
Quitte cet air craintif, ce regard dédaigneux,
C'est l'immortel plaisir qui rira dans tes yeux,
Ainsi que l'aloès brise sa sombre écorce,
Quand tu seras pareil, perdant ta faible force,
A ces jeunes guerriers, orgueilleux et mourants,
Qui gagnaient la bataille ardente en succombant...
Hélas ! ta douce main dans mes mains se débat;
Ecoute, rien ne peut s'expliquer ici-bas.
Pourquoi ce ciel d'été, ces calmes rêveries
Du peuplier, debout sur la fraîche prairie,
Qui semble étudier, mage silencieux,
Les nuages qui sont le mouvement des cieux ?
Pourquoi cet abondant murmure des fontaines,
Ces sureaux engourdis par leur suave haleine,
Ces carillons légers, s'envolant des couvents,
Comme un pommier mystique effeuillé par le vent ?...
Ah ! ces nobles langueurs que jamais rien n'exprime,
Ces silences, comblés de promesses sublimes,
Le soir, cette fumée aux toits bleus des hameaux,
Ces rêves des bergers, jouant du chalumeau
Tandis que les brebis, dans la vallée herbeuse,
Ont le robuste éclat d'une plante laineuse,
Ces bonheurs du matin juvénile, où le corps
Rejoint l'éternité en dépassant la mort,
Ces besoins éperdus de pitié ou de rage,
Ces soleils, embrasant de muets paysages,
Tu les posséderas comme un raisin qu'on mord,
Dans le bonheur gisant qui ressemble à la mort !
Ainsi sois bienveillant, doux envers la caresse;
Console, et, si tu peux, abolis ma tendresse.
Je meurs d'une suave et vaste vision:
J'aime en toi l'infini avec précision;
Pour cacher mon ardeur aux regards des étoiles,
Cher pâtre, étends sur moi tes deux mains comme un voile.
Vois, je serai, mes bras pressés à tes côtés,
Comme un fleuve immortel enserrant la cité.
Mais ton front est sévère et ta voix est confuse;
Va-t'en, déjà le jour élance ses clartés.
J'entends dans les taillis tourner le vol des buses;
Les marchands, au lointain, jettent leurs cris flûtés.
Voici l'âne, porteur de fruits; craignons la ruse
Du maître qui le suit. Va-t'en de ce côté...
Ah! Faut-il que mon coeur en vain s'élance et s'use,
Et que ce bonheur soit en toi, qui le refuses!
Je t'aime et je voulais en t'aimant m'appauvrir.
Ah! Comme le désir souhaite de mourir!...