29/10/2010

129. Anna de Noailles et le jardin. 2


2. Dans l’atmosphère idyllique du jardin, la rêverie ne quitte jamais le domaine de la sensation: le poète est relié à la nature par tous ses sens, véritablement subjugué par la magie du lieu; la présence des végétaux et les odeurs qu’ils exhalent contribuent à créer en lui une impression de paradis. Dans "Le Livre de ma Vie", Anna se réfère maintes fois aux moments de son enfance qu’elle passait dans le paisible jardin du chalet d'Amphion, "dans une atmosphère de paradis où des pétunias vanillées et des hortensias roses, aux floraisons profuses, offraient le spectacle de la jeunesse du monde inclinée sur la transparence de l’eau »

L’enfant, de par sa nature, est plus apte que l’adulte à reconstituer l’harmonie du premier jardin et à y vivre. C’est un peu ce que disait C. G. Jung : "Les animaux eux, sont vraiment eux-mêmes. L’animal et la plante sont pour moi les symboles mêmes de l’être pieux. Nous avons tout lieu de nous inspirer de leur exemple; ils vivent la totalité de leur être comme l’enfant vit la sienne."
Cette exaltation ressentie dans l’intimité de la nature traduit une "nostalgie adamique", un retour au bonheur originel. L’atmosphère du jardin, composée de couleurs, d’odeurs, de chants d’oiseaux, rappelle celle du premier jardin. Et c'est bien le mot "paradi" qui revient le plus souvent lors de l’évocation de ces jardins. En outre, le jardin manifeste d’une part les liens qui s’établissent entre la nature et l’homme et, d’autre part, le pouvoir que celui-ci exerce sur le cosmos. De ce fait, le jardin devient un lieu de réconciliation où la terre perd son exubérance, son caractère sauvage et indompté: le jardin représente les préoccupations secrètes de l’homme. Nature rendue plus humaine par le labeur de l’homme, le jardin est un espace où le bonheur devient possible. A bien des égards, il évoque le paradis.
"Petite fille, j’ai, certes, goûté des moments de paradis à Amphion dans l’allée des platanes étendant sur le lac une voûte de vertes feuilles; […] je respirais avec prédilection le parfum de vanille qu’exhalent ces fleurs exiguës, grésillant et se réduisant au soleil, comme un charbon violet. Oui, ce fut là le paradis […]. Enfant installée dans le jardin d’avant Adam et Eve, je savais bien, innocemment, qu’il se révélerait à moi, le couple énigmatique pour qui l'univers semble créé ... ». Dans les Forces Eternelles on lit : « Les jardins ont tout engourdis, la fixité du paradis »
L’évocation si souvent reprise du beau jardin dont le charme et le bonheur que sa vue inspire rappellent le premier jardin, nous a contrainte à nous interroger sur le sens du Paradis perdu. On se demande si cette jouissance du monde à travers l’évocation de ces terres fécondes et de ces jardins qui enchantent l’âme, n’est pas l’expression de la nostalgie d’un âge d’or, quand l’être humain vivait en harmonie avec le monde élémentaire, l’enfance.