28/02/2010

088. Marcel Proust : "Les Eblouissements". 5


5/6. Connaissez-vous une image plus splendide et plus parfaite que celle-ci [...] :
Comme une jeune esclave
Qui monte, qui descend, qui parfume et qui lave !
Là encore, pour comprendre toute la noblesse, toute la pureté, tout « l'inventé » de cette image si soudaine et si achevée, qui naît immédiate et complète, il faut relire la pièce, l'une des plus poussées en expression, des plus entièrement senties aussi de ce volume, peinte du commencement jusqu'à la fin, en face, en présence d'une sensation pourtant si fugace qu'on sent que l'artiste a dû être obligé de la recréer mille fois en lui pour prolonger les instants de la pose et pouvoir achever sa toile d'après nature, - une des plus étonnantes réussites, le chef-d'œuvre peut-être, de l’impressionnisme littéraire.
Notons au passage des homards bleus dont la couleur fera un peu de tapage, puis qui plairont à tous comme les hérons bleus, les flamants roses, les ours enivrés du raisin s et les jeunes crocodiles du début d'Atala qui, à l'époque, firent crier certaines gens et se sont fondus depuis dans la délicieuse couleur de l'ensemble.
Nous les signalons bravement, ces homards bleus, que nous trouvons, pour notre part, fort à notre goût, aux abbés Morellet du jour. Puis ce sont d'extraordinaires pièces sur la Perse, où
De beaux garçons persans en bonnets de fourrure,
Aux profils aussi ronds que de jeunes béliers,
disent à l'auteur
Nous déploierons pour vous de merveilleux tapis
Où l'on voit s'enfoncer sous des arcs d'églantine
Des lions langoureux et des cerfs assoupis,
tandis qu'un paon :
Enfoncera parfois dans les roses suaves
Son petit front étroit comme un serpent huppé ;
d'adorables strophes au Printemps, où il faudrait noter que dans ce vers
Entendez les oiseaux de mon brillant gosier.l'irrégularité de l'image ajoute une beauté, absolument comme dans ce vers de Baudelaire :
Et les urnes d'amour dont vos grands cœurs ont pleins.